Ce jugement est tel que fumeurs et professionnels de santé se trouvent montrés du doigt. La porte est désormais ouverte à un bouleversement dans les voies de recours. Jusqu’à présent ces derniers n’étaient exercés – par les assureurs notamment – qu’à l’encontre des seuls fabricants. Demain, ils tiendront compte de la jurisprudence et se retourneront… contre leurs assurés. Quant aux professionnels de santé et particulièrement aux médecins, les voici en première ligne. A leur corps défendant mais de manière incontournable. Ainsi que le Pr. Albert Hirsch, du CHU Lariboisière Saint-Louis à Paris l’explique, « aussi longtemps qu’il n’y avait pas d’avertissement sanitaire fiable, pertinent, compréhensible, clair, l’industrie du tabac a été reconnue comme responsable. Dès le moment où il y a un avertissement sanitaire, il y a responsabilité partagée du fumeur et un troisième acteur intervient. Le médecin généraliste se doit, d’une part de parler du tabagisme auprès du fumeur.

Car évidemment, un médecin qui se tait sur ce facteur de risque essentiel, est en réalité un médecin qui consciemment ou non, se fait le complice de l’industrie du tabac. On peut très bien concevoir qu’un médecin qui n’interroge pas ses patients sur leurs habitudes tabagiques, qui ne leur conseille pas lorsqu’ils sont fumeurs d’arrêter de fumer en mettant à sa disposition tous les moyens qui sont efficaces, soit l’objet de poursuites sous ce que l’on appelle aux Etats Unis le terme de « malpractice », c’est à dire le fait de ne pas suivre les recommandations, du bon usage des soins. » Chaque année dans le monde, le tabac tue 3 millions cinq cent mille personnes. Si la tendance actuelle n’est pas inversée il devrait faire 10 millions de victimes par an à la fin des années 2020 ! L’affaire est grave. Ce sera donc l’un des tous premiers postes de dépenses de santé sinon le principal. Actif ou passif, le fumeur est exposé à un risque de cancers mais aussi de maladies cardio-vasculaires et pulmonaires. Les dépenses de santé provoquées par le tabac sont évalués à 200 milliards d’euros dans le monde. Soit quasiment le Produit national brut (PNB) d’un pays aussi prospère que l’Allemagne.

En transposant les chiffres américains, le tabagisme coûterait chaque année à l’Union européenne plus de 100 milliards d’euros : 25% pour les soins ambulatoires, 10% pour les médicaments, 49% pour les dépenses hospitalières, 2% au titre des soins à domicile et 12% pour les soins infirmiers…
Dans ce domaine comme dans d’autres les investisseurs se diversifient. British American Tobacco, numéro deux mondial des cigarettiers, vient de racheter la société canadienne IMASCO qui possède… le plus important réseau d’officines pharmaceutiques du pays ! Voilà certes une affaire à suivre… Et dans ce contexte nul ne s’étonnera que l’O.M.S., engagée depuis 15 ans dans la lutte contre ce fléau, ait lancé en juillet 1998 son Initiative pour un monde sans tabac. Elle attaque là en utilisant les armes mêmes de ses adversaires : la politique et la pression économique.
Sous son impulsion, le premier traité international dans le domaine de la Santé publique devrait voir le jour pour réduire la prévalence du tabagisme et de ses conséquences. Le principe en a été voté à l’unanimité des 191 Etats Membres de l’Organisation, y compris les pays producteurs et exportateurs de tabac ! Les négociations concernent plusieurs axes de travail : contrôle de la promotion et de la publicité en faveur du tabac, développement de cultures de substitution, lutte contre la contrebande, taxes et subventions, aides au sevrage… Cette phase préparatoire devrait être terminée en 2003. L’O.M.S. prévoit alors de s’engager dans le processus de ratification.

Pour le consommateur aussi le changement est en train. L’encadrement de la publicité, la reconnaissance des droits des non-fumeurs, la taxation croissante des produits du tabac sont autant de progrès. Les Français dépensent chaque année plus de 75 milliards de francs en cigarettes, tandis que les Suisses brûlent pour leur part plus de 3 milliards de francs suisses !
Agir dès la classe de cinquième ! Les recettes fiscales procurées par le tabac, pour la France seulement, ont dépassé 54 milliards de francs en 1998. Face à ces chiffres en constante progression, l’incitation au sevrage paraissait marquer le pas. Aujourd’hui c’est différent. Les substituts de la nicotine sont accessibles directement auprès des pharmaciens. Ce délistage, comme l’appellent les professionnels, fait de ces derniers les personnages centraux du dispositif.
A un moment ou un autre la plupart des fumeurs ont voulu renoncer. Or le candidat au sevrage souhaite parler de son tabagisme. Encore faut-il qu’il ait le sentiment d’être écouté et compris. Dans ce sens, l’accès plus facile aux produits de substitution est un progrès.
La loi Evin seule ne saurait freiner la consommation. Les producteurs le savent. Il est vital pour eux de recruter chaque année 3 millions cinq cent mille clients pour remplacer… ceux qui meurent ! Ils déploient donc des trésors d’imagination pour charmer des consommateurs aussi jeunes que possible, associant au tabac des images fortes et positives. Le sport avec les raids d’aventure, la compétition automobile, le cyclisme, les vêtements sportswear et la musique sont des « terres d’élection » pour ces annonceurs auxquels la presse est interdite.
Toutes les études le confirment, c’est alors que les jeunes s’initient au tabac. A 14 ans, 15 % fument et à 15 ans ils sont 26 %. Ils sont également plus nombreux à boire de l’alcool. Il y aurait ainsi 41% de consommateurs réguliers d’alcool parmi les jeunes qui fument quotidiennement au moins une cigarette, contre 5% seulement parmi les non-fumeurs. La prévention chez les jeunes, ce devrait être d’abord de les convaincre de ne surtout pas fumer la première cigarette ! Le rôle des parents est ici exemplaire. Fumeurs, ils sauront parler de leur difficulté à s’arrêter. Non-fumeurs ils montreront que « c’est possible »…
La nicotine est responsable de la dépendance !Dès les premiers jours et au plus tard en deux semaines, vous allez redécouvrir les odeurs et les saveurs. Dans le mois qui suit l’arrêt, le souffle va vous revenir : vous monterez les escaliers d’un pas nouveau. Après un an votre risque de maladie coronarienne sera réduit de moitié. Vous devrez toutefois attendre 15 ans pour qu’il redevienne le même que celui d’un non-fumeur de toujours. Les risques de cancer du poumon ou de bronchite chronique, ou d’accident vasculaire cérébral, diminuent régulièrement. Il faut là aussi attendre de 10 à 14 ans pour que les anciens fumeurs se retrouvent au même niveau que les non-fumeurs.
C’est la nicotine qui est responsable de la dépendance. Elle stimule en effet les centres du plaisir et entraîne une dépendance à trois niveaux : comportemental : mimétisme avec le groupe et réalisation d’un geste réflexe ; pharmacologique : elle a un effet anxiolytique et antidépresseur, stimule les fonctions intellectuelles et agit comme un coupe-faim ; physique enfin car la nicotine provoque un état de manque terrible, qui se traduit par des symptômes à type de dépression, d’irritabilité, d’accès de colère…
Malgré tous ses défauts, elle est moins toxique que les goudrons ou les nitrites contenus dans le papier à cigarettes. Voilà pourquoi l’un des meilleurs moyens de cesser de fumer est encore… de consommer de la nicotine sous des formes moins nocives et moins coûteuses que le tabac.
Les traitements de substitution existent essentiellement sous forme de gommes à mâcher et de timbres transdermiques :
Les gommes : environ 145 Frs les 100. Leur consommation varie selon le degré de manque ;
Les timbres transdermiques (ou patches), coûtent en moyenne 150 Frs la boîte de sept. La consommation moyenne est d’un par jour, de sorte que le sevrage revient au prix d’un paquet de cigarettes quotidien…
Tous ces produits atténuent le manque et constituent des aides efficaces au sevrage. Les taux de réussite sont de l’ordre de 50% à 3 mois.
En dehors de ces moyens reconnus, le candidat au sevrage peut se reposer sur l’acupuncture et l’homéopathie, seules ou en association. L’hypnose a également ses adeptes et dans certains cas, les thérapies cognitives et comportementales donnent de bons résultats. Cette approche mène l’intéressé à chercher le pourquoi et le comment de son intoxication. Il s’agit de déterminer si le stress, le travail ou la solitude sont à l’origine de l’envie de fumer. Le but est d’apprendre au patient à gérer ces situations. Sur un bon terrain, le résultat peut être probant. Attention toutefois au retour de bâton en cas de pression imprévue !

Il existe aussi un nouveau médicament, déjà utilisé aux Etats-Unis comme antidépresseur et qui retire l’envie de fumer. Ceux qui craindraient que cesser de fumer avec l’aide d’un antidépresseur ne revienne à passer d’une dépendance à une autre peuvent se rassurer. Il n’en va pas de même pour celles et ceux qui pensent qu’un petit verre d’alcool va leur permettre de gommer l’anxiété lors du manque tabagique. Le danger de voir une toxicomanie en remplacer une autre est ici réel.
N’oublions pas enfin tous les gadgets et attrape-gogos qui ne manquent pas sur le marché