Aujourd’hui, je vous raconte un secret: la liberté d’expression, nous ne l’avons pas inventée. Bien au contraire, nous l’avons aliénée. Partant du « constat » tripartite selon lequel le monde se fout de nos divagations, les arabes ne sont pas assez cultivés pour savoir que nous divaguons et nous étant convaincus que nous sommes à l’origine de toute culture progressiste, les médias libanais ont peu à peu gravé dans notre conscience leur rôle avant-gardiste et pionnier dans l’élaboration de cette fameuse liberté d’expression.
D’autre part, supposer que nous avons compris ce concept importé en ce qu’est son essence reviendrait à émettre purement de fausses hypothèses. En effet, notre liberté d’expression se concentre sur le sex et sur l’absurde: présentatrices fortement sexuées au lapsus facile, introductions de journaux télévisés qui ressemble à s’y méprendre avec des appels à la guerre civile et confessionnelle, des reportages qui ne sont souvent qu’une suite incohérente de phrases provocatrices, éditoriaux signés par des pédants du Cèdre, et plein d’articles sur les éjaculations précoces comme Cosmo-même n’en fait plus. Tout dernièrement, les spéculations militaires font ravage. Défendant l’armée – le patriotisme vulgarisé est monnaie courante – nos médias, au nom du sacro saint droit à l’information, ont exposé l’armée. Absurdité quand tu nous tiens!

En résumé, le professionnalisme journalistique est l’ingrédient inexistant dans notre recette nationale de liberté d’expression médiatique. Voyez-vous, un talk-show politique ressemble étrangement à quelques voisines commentant les amours de leurs connaissances un mardi matin. Ne manquent à nos « journalistes » que les clopes et le café turc pour un tableau parfait. Dommage! Quant à la pertinence des questions, n’en parlons pas. Les dialogues ne valent pas mieux qu’un film de série B. Nos scénaristes ne verront jamais Broadway.
Mais trêve de plaisanteries et d’ironie!
En parlant de liberté d’expression, de grands noms s’imposent. Jon Stewart, Bill O’Reilly, Bassem Youssef. Ces stars du petit écran ont, aux Etats Unis comme en Egypte, conquis les téléspectateurs. Leurs tendances politiques, économiques et sociales sont connues et le genre dans lequel ils se sont lancés ne leur permet point uniquement de s’exprimer, mais également d’éclairer, d’instruire.
Le cas de Bill O’Reilly hôte du O’Reilly Factor sur Fox News, chaine américaine connue pour son alignement avec la droite, ses chroniqueuses blondes et pulpeuses, et l’islamophobie est moins intéressant que les deux autres. En effet, O’Reilly n’est ni psychologue ni chirurgien. De plus, son allégeance au parti républicain et au président Bush en fait une figure hostile. Je ne le mentionne que dans le but de conserver un peu d’objectivisme.

Jon Stewart de l’Egypte ou Bassem Youssef de l’Amérique?
Jon Stewart est indéniablement l’un des hommes les plus influents aux Etats Unis. Son révolutionnaire Daily Show diffusé sur la Comedy Central a inauguré la plus belle ère de libre expression des temps modernes. Huit ans durant, il a déchiqueté George W. Bush (making fun of the president’s hats and less than fluent english, ainsi que lui-même le dit) et son administration, et se positionne ouvertement contre la Guerre du Golfe. Cependant, et malgré son affinité pour le parti démocrate et le président Barak Obama, il ne manque pas de critiquer l’administration actuelle. Juif, il se permet d’attaquer Israël sans risquer de se faire étiqueter d’antisémite, il accuse ouvertement les Etats-Unis de financer l’armée israélienne et dénonce les massacres commis à Gaza. Quant au printemps arabe, finalement importé en 2003, il le décortique et l’expose, risquant quelques fois de prendre la défense des « dictateurs » arabes, comme par exemple lors de la première commémoration d’Achoura en Irak après la chute de Saddam.
Malgré sa renommée internationale et son génie, l’homme n’est devenu connu au grand public de la région qui s’étend de l’Atlantique au Golfe persique que par l’arrestation de Bassem Youssef, l’homme le plus populaire d’Egypte.
Chirurgien cardiaque anglophone reconverti en satiriste politique, Bassem Youssef a été l’homme qui, du cœur de la révolution contre le président Moubarak au cœur du soulèvement contre l’Islam politique et puis celui de la résistance contre l’instauration de l’Etat de Sissi, a été le fer de lance de l’opposition, cherchant l’Etat de droit par un poison doux, la satire. Aujourd’hui, Bassem est banni des écrans égyptiens. Ce pionnier de la véritable liberté d’expression, l’homme qui a réussi une phénoménale explosion de l’audimat, celui qui a dénoncé les Frères Musulmans exposant leur charlatanisme avec des preuves irréfutables, est tombé en victime du culte voué à Abdel Fatah Sissi. Il aurait pu tirer sa révérence avec la déchéance de Morsi mais, en héro réel, il est resté, prouvant que son combat n’est point contre certains mais pour la résurrection de l’Egypte.
